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Questions éthiques et perceptions par les usagers des structures médico-sociales
14/10/2013 11:44A l'heure où des commissions nationales et européennes planchent sur les droits des personnes âgées, nous reprenons ici un texte écrit par Joëlle Le Gall, Présidente de la Fédération Nationale des Associations de Personnes Agées FNAPAEF, texte prononcé en 2012 lors d'un colloque en Bretagne sur l'éthique dans les structures médico-soiales.
Jeune ou vieux, usager ou famille d'usager des structures médico-sociales les attentes et les questions ne sont pas toujours semblables et l'éthique est une valeur qui peut être perçue différemment selon que l'on soit soignant ou soigné.
La morale relève d’une obligation que l’on peut se donner à soi-même ou qui s’impose venue d’ailleurs ; l’éthique relève d’un véritable questionnement , d’un débat, de confrontations, d’élaborations communes, de l’utilisation éventuelle du résultat de la réflexion sur le plan individuel et collectif. Et elle n’aboutit pas sur des certitudes, mais souvent sur d’autres questionnements. L’éthique est un questionnement en marche.(relevé sur le groupe éthique de l'APF). C'est sur cette dimension de l'éthique que la FNAPAEF fonde ses attentes.
le droit et l'éthique peuvent-ils se rejoindre ?
Le droit en terme juridique repose sur des lois.Tout citoyen, toute organisation, se doit de les respecter sous peine d'être juridiquement condamnable. L'éthique est une valeur non définie fuyante, non formatée, toujours en recherche. Chaque être peut en avoir une perception différente selon son éducation, sa sensibilité, son origine. La loi 2002- 2, un virage important a pour vocation de placer les droits des usagers au cœur de l’action sociale et médico-sociale. En effet, le dispositif antérieur était quasiment muet sur la place de l’usager. L'un des principaux axes est l'affirmation et promotion des droits des usagers et de leur entourage. Elle donne obligation de mettre en place des outils pour assurer un accompagnement bien traitant. Mais comment évaluer la qualité d'un accompagnement ? Comment évaluer le respect, l'attention, les valeurs éthiques ? Le concret de cette loi se heurte à l'abstrait des valeurs qu'elle sous tend.
A-t-on le droit d'exclure ou de minimiser l'éthique au profit de valeurs marchandes ? A-t- on le droit de minimiser les moyens nécessaires à sa protection ? L'éthique libérale est la reconnaissance de l'autre comme son égal. Quelle est la place de la personne âgée dépendante dans notre société ?
Morale, droit et éthique sont des dimensions en tension. On l'observe dans plusieurs domaines en particulier dans le sujet qui nous anime aujourd'hui « les personnes âgées fragilisées par la maladie et le handicap ».
Un communiqué de la FNAPAEF du 25 août 2011 constatait :
« LES "VIEUX" SERVENT AU GOUVERNEMENT ACTUEL DE SIMPLE VARIABLE D'AJUSTEMENT DE SA POLITIQUE BUDGETAIRE! »
Et pourtant de nombreux documents d'intention existent donnant priorité à la qualité de l'accompagnement et des soins qui devaient être réservés à toute personne âgée fragilisée
2003, Le Plan Vieillissement et Solidarités(plan RAFFARIN) suite à la tragédie de la canicule aurait pu être une avancée, mais dès sa publication il traduisait des inquiétudes pour sa mise en œuvre et certains disaient déjà à l'époque que le financement de ce plan serait une opération blanche voir une gigantesque supercherie.
2006 - Le Plan Solidarité Grand Age qui devait compenser les insuffisances du plan précédent. Philippe BAS pointait à la fois le manque de personnel, de formation, le coût trop élevé des établissements, le reste à charge beaucoup trop lourd pour les familles et le reste à vivre très insuffisant. Ce plan, évalué à 2,3 milliards d'euros sur cinq ans, devait être financé en partie par la journée de solidarité, et pour l'essentiel par l'assurance-maladie.
Ses cinq axes : Donner aux personnes âgées le libre choix, inventer la maison de retraite de demain, adapter l'hôpital aux personnes âgées, assurer pour l'avenir le financement solidaire de la dépendance, Insuffler une nouvelle dynamique à la recherche et à la prévention.
2008-2012 - Le Plan ALZHEIMER et ses 44 mesures
Élaboré sur la base des travaux de la commission présidée par le Professeur Joël MENARD, qui a remis le 8 novembre 2007 un rapport insistant sur la nécessité d'organiser et de fédérer une prise en charge globale autour et pour le bénéfice de la personne malade et de ses aidants.
La loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, qui engage les Pouvoirs Publics à mettre en œuvre l’article 13 :
« Dans les trois ans à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, la prestation de compensation sera étendue aux enfants handicapés. Dans un délai maximum de cinq ans, les dispositions de la présente loi opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères d'âge en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais d'hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux seront supprimées. »
De janvier 2011 à juin 2011, le chantier de la dépendance
Un coup de sifflet bref, onéreux, qui s'est transformé en « peau de chagrin ». Certains y ont crus d'autres moins comme la FNAPAEF qui avait déjà pressenti le dénouement puisqu'en septembre nous avons tous appris que ça n'était que partie remise en 2013. Il est important de préciser qu'en avril 2011, avant la sortie du rapport final de ce chantier, les EHPAD avaient été victimes d'une circulaire budgétaire accablante, alors qu'ils étaient déjà en très grosses difficultés financières.
Les documents d'intention nécessitent des moyens, les documents contractuels appellent l'obligation de résultat, Mais sans moyens peut-on obtenir les résultats.
La maltraitance commence souvent par des faits anodins, résultats de négligences, de maladresses, liés à un personnel non formé, un personnel en sous nombre, un personnel stressé, un accompagnant familial qui « n'en peut plus ». Que ce soit en institution ou à domicile dans la majorité des cas cette maltraitance résulte d'une accumulation de petites choses qui plongent la personne accompagnée dans un abandon de ses repères et dans l'isolement.
« La maltraitance en creux peut-être définie comme ce que nous ne favorisons pas en termes de qualité d'accompagnement et de soins. Je pense par exemple à la présence d'une seule douche située au bout du couloir ou encore aux files d'attente pour y accéder. La dépendance à l'égard du personnel pour se lever ou se coucher à l'heure de son choix, le personnel n'étant pas forcément disponible à l'heure de son choix. Le personnel n'étant pas disponible en permanence constitue une maltraitance en creux. Il convient également de signaler les tenues négligées que portent les personnes dans certains établissements, il n'est pas porté une grande attention à la présentation et à l'apparence physique. Des personnes accueillies passent des journées entières à regarder la télévision du fait de l'insuffisance d'activités proposées. (Claude MEUNIER, Directeur Général adjoint de l'Association des Paralysés de France)
La FNAPAEF qualifie cette maltraitance de maltraitance institutionnelle.
Cette maltraitance est sournoise car si par manque de réactivité nous la laissons s'installer elle pourrait devenir la bientraitance de demain.
l’accompagnement d’une personne affaiblie par la maladie ou le handicap passe par l'attention et les moyens que l’état et les Pouvoirs publics voudront bien lui accorder et par la place qui lui est réservée dans notre société. Débat public, oui certainement car c'est à l'ensemble des français de se prononcer sur ce qu'ils souhaitent pour eux, leurs parents, leurs enfants.
Marcel PROUST écrivait «L'indifférence est la pire et la plus ordinaire des maltraitances»
Comment peut-on évaluer une relation aidants/aidés, sa dimension éthique son rapport à l’intime. Le moi s’éveille par la grâce du toi nous dit BACHELARD, les hommes vieux vulnérables ont besoin de veilleurs de dignité, de personnes qui les assurent par leur regard qu’ils sont reconnus, quelles que puissent être les pertes de capacités ou de maîtrise « Éric FIAT » et toute attitude verbale ou non verbale a un sens, mon regard dirige son regard, plus je la vois comme une personne entière moins elle diminue.
La relation passe par des piliers, regard, toucher, parole (HUMANITUDE)
Une loi peut-elle encadrer cette dimension éthique ?
« La médecine est un mélange soigneusement dosé de sciences et d’humanisme, mais nos institutions ne sont pas humanisantes » nous dit Philippe THOMAS et d'ajouter« Chaque résident à ses habitudes, son mode de vie, il faut prendre le temps de les repérer et d’être au plus prêt de ses besoins pour respecter son rythme de vie ».
Question, le comportement du résident est-il inadapté de par sa faute ou du fait d’une responsabilité de l’environnement dans lequel il évolue».
La dimension éthique et le rapport à l'intime sont-ils soumis à des moyens financiers, humains, techniques ou essentiellement à la volonté de l'accompagnant qui en fait une priorité ?
Dans tous les actes de l’accompagnement le rapport au corps existe : la toilette, le lever, le coucher, le repas, le soin, le prendre soin, « le cure et le care ».
Prendre le temps d’accompagner le résident dans sa toilette, son bain ou sa douche, prendre le temps qu’il faut pour le stimuler et parler avec lui au moment du repas, protéger l’autonomie qui lui reste, le stimuler en recherchant ses passions, peinture jardinage animaux musique, faire rentrer la vie dans l’établissement et lui faire retrouver SA VIE dans ce lieu, prendre le temps de l’accompagner aux toilettes plutôt que de lui mettre des protections qui en trois mois le rendront incontinents, prendre le temps de l’accompagner chaque jour respirer l’air du parc, prendre le temps de respecter son corps, de caresser une main, de respecter un visage, la coiffure, les ongles, le rendre libre, ça ne doit pas être un privilège de vouloir se lever la nuit, de vouloir manger la nuit, de se promener la nuit dans l'établissement qui est devenu sa nouvelle maison : c’est un droit. Le résident n’est pas dans un milieu carcéral.
Loi-Éthique, Éthique-Loi, où commence l'un où s'arrête l'autre ?
Comment faire pour que des hommes et des femmes dont le métier est d’accompagner la vieillesse fragilisée soient des veilleurs de dignité ?
Pour aborder cette dimension il faut avoir pris le temps de connaître cette personne, connaître son histoire, ses centres d'intérêt, ses joies, ses peines.
La famille connaît (ou pas, secrets de familles lourds à porter) mais les professionnels qui l'entourent doivent aussi avoir un certain nombre d'informations sur le parcours de vie de celui ou celle qu'il accompagne et qu'il accompagnera bien souvent jusqu'à lui fermer définitivement les yeux.
Ça devient alors un précieux mélange du corps et de l'âme.
Une loi peut-elle répondre à cette dimension ? Là est toute l’ambiguïté des
valeurs que défendons aujourd'hui.
Joëlle LE GALL
Présidente
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