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Lettre ouverte au Premier Ministre
08/12/2013 19:33
LETTRE OUVERTE à Monsieur Jean Marc AYRAULT Premier Ministre
Quimper le 6 décembre 2013
Objet : lancement de la concertation
sur le projet de loi d’orientation et de programmation
pour l’adaptation de la société au vieillissement
Monsieur le Premier Ministre,
Nous avons écouté avec beaucoup d’intérêt votre discours de lancement de la concertation sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement. En tant que personnes âgées et familles, nous souhaitons revenir sur certains points :
Une précision s'impose : ne pas confondre vieillissement normal et vieillissement en situation de handicap, suite à une maladie invalidante. C'est de ces derniers dont vous devez vous préoccuper en urgence aujourd'hui, qu'ils soient à domicile ou en établissement. Les gouvernements successifs nous ont fait des quantités de promesses jamais tenues, et la situation ne fait que s'aggraver par manque de moyens financiers et de personnels qualifiés en nombre suffisant. La FNAPAEF demande sans relâche la prise en charge de la perte d’autonomie par la solidarité nationale : « Chacun contribue selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins », principe fondateur de la Sécurité Sociale.
Comme vous le soulignez 8% des personnes de plus de 60 ans sont confrontées à une perte d’autonomie, nous avons donc le devoir de les accompagner dignement. Certes la FNAPAEF approuve votre volonté de développer la prévention, l’adaptation du logement, les activités physiques, l'hygiène de vie pour limiter une dégradation progressive de nos capacités, mais il reste les impondérables de la vie : l’accident, les maladies invalidantes comme Parkinson, Alzheimer, l’AVC (Accident Vasculaire Cérébral), la maladie de Charcot etc. Pour les personnes gravement touchées, l’aide doit être fonction des besoins, quel que soit l’âge, notamment des aides techniques de tout ordre : moyens de communication, fauteuil adapté, aménagement du domicile... comme avant 60 ans. La prévention, incontournable, concerne les « vieux » de demain, mais nous devons assistance aux personnes âgées en situation de handicap d’aujourd’hui.
Le montant de l'Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), d'un maximum de 1304.64 euros par mois pour un revenu inférieur ou égal à 734,66 € par mois, est très loin de couvrir les besoins liés au handicap. Nous n’ignorons pas que ces besoins peuvent être différents en fonction du projet de vie et de l'âge de la personne, mais à projet de vie identique, aide identique.
« La première mesure consistera à renforcer l’aide à domicile par le relèvement des plafonds d’aide pour l’APA permettant d’augmenter ainsi le nombre d’heures d’intervention possibles des aides à domicile pour ceux dont le plan d’aide est aujourd’hui insuffisant au regard de leur besoin » Parce que ce système est fondamentalement discriminatoire nous refusons tout aménagement de l'APA. Il est inacceptable en effet que le montant de l’aide soit lié à la date de naissance de la personne, plutôt qu’au type de handicap dont elle est victime.
Pour la FNAPAEF le libre choix, auquel vous faites référence, est conditionné par les moyens donnés :
- à domicile un accompagnement digne de ce nom, pour un handicap très lourd, peut en effet coûter plus cher que dans un EHPAD (Etablissements d’Hébergements pour Personnes Agées Dépendantes), à savoir plus de 5000 euros par mois…Quel citoyen dispose, aujourd'hui, de revenus suffisant, pour faire le choix du domicile en cas de très lourd handicap après 60 ans. Environ 3% de la population concernée peut se le permettre. Oui, les Français veulent rester à domicile, mais en cas de lourd handicap ils réclament du personnel qualifié, de jour comme de nuit, qui ne change pas sans cesse, qui leur consacre du temps, soit attentif à tout leurs besoins, notamment nutritionnel, soins bucco-dentaires, leur permette de sortir de leur isolement car ils veulent avoir accès à la Vie. Ils ont aussi besoin de médecins de ville assurant des gardes, leur évitant des transferts coûteux et inutiles dans les services d’urgence où ils passent des heures sur des brancards…, de kinésithérapeutes qui se déplacent, d’ergothérapeutes etc.
- En EHPAD, le coût moyen du reste à charge s’élève à 2200 euros par mois, c’est dire ce qu’il en est dans les établissements à but lucratif ! Quel citoyen peut aujourd'hui le financer sans être dans l'obligation d'utiliser l'ensemble de ses revenus, de vendre son bien, et demander une aide financière à ses enfants, avant de « quémander » l’aide sociale qui sera reprise sur succession.
Or, à travers votre discours nous comprenons que pour la baisse du reste à charge dans les établissements, il faudra attendre, attendre encore… car il faut « remettre à plat ce système (…) très complexe, très compliqué (…) l’objectif que nous avons fixé, c’est une loi votée avant la fin de l’année 2014 (…) Ça paraît loin, ça n’est pas loin. » Pour nous résidents et familles, c’est loin très loin…Cela fait maintenant 10 ans Monsieur le Premier Ministre que nous attendons. Beaucoup de personnes âgées sont décédées, et d’autres vont nous quitter sans jamais avoir eu l'accompagnement répondant à leurs réels besoins.
En ce qui concerne la « silver économie » que vous soutenez, nous sommes conscients que des aides techniques peuvent apporter une réponse à des besoins bien précis (communication, transports), mais en aucun cas elle ne doit avoir pour but de remplacer l'accompagnement humain par de la robotisation à outrance. Une présence, une main, une voix humaine, sont irremplaçables pour l'homme jusqu’au bout de la vie. La « marchandisation » de la vieillesse a des limites à ne pas dépasser. A domicile comme en EHPAD, les structures ont un besoin urgent de personnel. Il faut donc, comme vous le dites, « rendre ces métiers qualifiés, attractifs et durables », conditions incontournables pour que « l’espérance de vie qui s’allonge » soit réellement « un gisement d’emplois considérable, des emplois non délocalisables, porteurs de savoir-faire. »
- « Trop de fois les réponses concrètes ont été perdues de vue au profit de débats sur le 5ème risque, la 5ème branche, derrière lesquels on s’est souvent, je dirais, réfugié et qui n’ont pas permis de décider et parfois même on envisageait le recours aux assurances privées comme une solution finalement qui aurait tout réglé. On a bien vu que tout cela n’a pas abouti.
Faut-il en déduire que vous écartez définitivement la suppression de la barrière de l'âge et que vous abandonnez la mise en place d’un 5ème risque, basée sur la solidarité nationale citée plusieurs fois dans votre discours ? Doit-on maintenir un système de financement inégal selon son lieu de vie et selon son âge ?
- la tentation pourrait être pour ce qui concerne la réforme, les réformes, y compris les réformes sociales de dire « ah oui mais on ne peut pas, donc on verra plus tard » et c’est là qu’à ce moment-là quelque-chose se brise dans la confiance, dans le fil fragile de la confiance.
Pouvons-nous l’avoir encore, après avoir vu tant de débats, tant de rapports qui n’ont mené à rien ? Tant de promesses du Président Sarkozy qui lui aussi avait dit : « Attendre encore serait une faute morale impardonnable, ce serait refuser de regarder la réalité en face, ce serait refuser d'assumer mes responsabilités ». Dix ans ont passé depuis la tragédie de la canicule d'août 2003, et l’horizon est toujours bouché. Le vote des Députés de débloquer seulement 100 millions de la CASA (Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie) 2014, sur les 650 qui revenaient de droit aux personnes en perte d’autonomie, est ressenti comme une nouvelle trahison !
Les aidants familiaux que vous dites vouloir aider, attendent depuis longtemps, d’être reconnus et soutenus par la solidarité nationale. Certains ont plus de 70 voire 80 ans … Ils ont parfois aussi des problèmes de santé sans avoir le temps de se soigner. Les aidants deviennent les obligés de l'État, remplaçant, bien malgré eux souvent, et jusqu’à épuisement, les professionnels qu'ils n'ont pas à leurs côtés. Ne devraient-ils pas d’abord conserver un rôle relationnel, affectif et être secondés par des professionnels de qualité. Mais le secteur du domicile est sinistré par le manque de moyens financiers et de reconnaissance du personnel dont la formation est très insuffisante, voire parfois inexistante.
Au nom de la reconnaissance à l’égard de nos aînés, que vous avez affirmée, au nom de l’égalité, nous demandons la mise en place d'une prestation unique, attribuée, non pas en fonction de l'âge mais en fonction des réels besoins de la personne à accompagner. Cette prestation sera financée par la solidarité nationale, et garantira un traitement uniforme sur l’ensemble du territoire.
Monsieur le Premier Ministre, nous vous prions d’agréer l’expression de nos respectueuses salutations.
Joëlle LE GALL
Présidente
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